Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 05 novembre 2008

Ces rives de l'Italie

sables d'olonnes (37).jpgLes délires baroques de Spaccanapoli, eux aussi, sont là de toute éternité. Ils figurent l’autre côté des choses, la folie, la mort, l’amour fou. Des étendards, balises de l’univers onirique qui me hante, s’étalent là devant mes yeux.

Ils sont avec moi, ils sont moi, ces frontons d’église, ces figures alambiquées, torsadées, sculptures aériennes, fluides, qui défient le temps, la logique, la mesure. Cette folie-là, je m’y suis lové, comme on se glisse entre les draps pour y trouver le repos, ne plus agir, ne plus être envahi du désordre et de l’incongruité du monde. Un grand calme enfin.

J’aime ces ruelles sombres où clabaude la vie, ces cours, ces palais de marbre, ces rives de l’Italie... Plus envie de retourner en France, je voudrais être une de ces pierres, le bras de cette statue dont le doigt pointe vers la mer, sentir le matin les odeurs de l’aube, sécher au soleil de midi et m’effriter lentement de la vie qui va... La rouille comme une délivrance.

Raymond Alcovère, extrait de Fugue baroque, prix 98 de la ville de Balma, éditions n & b

Photo de Gildas Pasquet

mardi, 21 octobre 2008

Les visages surtout

Details (19).jpgSoleil torride, pourtant un petit vent  assèche l’atmosphère, je sens la fluidité de mon sang dans les veines.Tout d’un coup sais que je ne suis rien, ma vie, tout le reste, rien face à l’immensité de cette attente, la force de ce désir. Tout me semble ridicule, vain, les projets, les peurs, les remparts qu’on s’invente, les alibis pour traverser le quotidien, un fatras de poussière. J’assiste au spectacle de la rue, comme si j’étais transparent, j’ai l’impression  d’être dans la vie des gens, d’apercevoir des gestes, des expressions jamais vues. Une lumière intérieure dans les pierres, les fruits des marchands, les couleurs roses et pourpres, les visages, les visages surtout.

Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", roman, 1998

Photo de Gildas Pasquet

vendredi, 29 août 2008

Le soleil pénètre dans les fentes profondes de Naples

napoli_by_MDR3D.jpg"Le soleil pénètre dans les fentes profondes de Naples jusqu'aux dalles de lave noire un court laps de temps : une demie-heure par jour. L'artisan, le petit commerçant sortent alors une chaise et s'installent dans le vicolo, et rien, ni personne, fût-ce le plus argenté des clients, ne pourra interrompre l'union de la chaise, du soleil et de l'homme qui forment, l'espace d'une demie-heure, un animal flamboyant, une chimère de bonheur."

Jean-Noël Schifano, Sous le soleil de Naples, Découvertes Gallimard

Voir ici, sur Naples, Fugue baroque

 

samedi, 19 juillet 2008

Le baroque...

19-8.jpg- Le baroque, c'est justement ça, travestir la réalité, la mettre en scène. Le baroque c'est la peur de l'ennui, de la platitude, c'est l'outrance,  la grandiloquence. Pour défier la vie, sa sécheresse. Le baroque c'est toute une vie d'un seul regard, d'une seule caresse, c'est magnifier les sentiments, leur donner la plénitude, c'est oublier la raison, la mesure, retrouver la vraie vie, son intensité, sa folie. C'est l'Orient, la faconde. C'est un instant saisi au vol, la grâce de la pierre qui saisit la fluidité de la vie, cette sorte de  miracle ! Mais tout ça ne sont que des mots, vous verrez, à Naples, tout sera beaucoup plus clair...

Raymond Alcovère, extrait de Fugue baroque, roman, 1998, prix 98 de la ville de Balma, éditions n & b

 Borromini (San Carlo alle Quattro Fontane, Rome, 1638-41)

mercredi, 11 juin 2008

Riviera di Chiaia

OBJETS 2005 (6).jpgPulvérisation, éclatement d’images, de mots. Un dragon menaçant  scintille dans les eaux basses du port. La Mergellina encore. Naples se donne ici des airs d’ île grecque  placide, recroquevillée au milieu de la grande mer. Procida...  Envie de courir, jouer, lever les yeux, les bras au ciel. Je suis incapable de rentrer ce soir, j’ai plutôt envie de traverser la ville, comme Dumas dans son corricolo, virevoltant. Loué une calèche Riviera di Chiaia, et vogue la galère ! J’ai donné au guide tout ce que j’avais, joué les touristes naïfs, je me moque du monde entier, voudrais embrasser l’air que je respire, la mer qui  frémit à côté de moi,  les gens que je croise.  Voilà le Palais Royal, insolent, lugubre, le San Carlo, brillantissime, l’ombre de Stendhal bien sûr, Via Toledo, un concert de lumières, de cris,  chatoiement de feu, enfin la montée vers San Martino.Là, mon cicérone m’abandonne. J’ai envie de rire, lui dit qu’il peut bien partir. Il trouvera d’autres touristes à ramener  ou  peut-être vit-il là, ou  n’est-il qu’un gnome, ou le diable,  peu importe ! Enfin seul, je laisse mes yeux respirer, se brûler aux  lumières de la ville, du port, des îles. J’aimerais que tout s’arrête, mon bonheur est parfait, c’est l’instant  où  tout se concentre, juste avant le Big Bang.  La  mer frissonne, donne des baisers au vent, au ciel, une langue de feu lèche l’horizon.

 

Raymond Alcovère, extrait de Fugue baroque, roman, 1998, prix 98 de la ville de Balma, éditions n & b

 

Photo de Gildas Pasquet

 

mardi, 22 avril 2008

Je me demande comment j'ai pu vivre jusqu'à aujourd'hui

13947564.JPGJe me demande comment j'ai pu vivre jusqu'à aujourd'hui. Le temps est long, les instants innombrables, inamovibles, ne s'arrêtent jamais, défilent lentement sur l'échelle des heures. Qu'ai-je fait de ma vie ? Je l'ai  aimée, bien sûr, comme la  seule  chose qui soit. Et encore... Au volant de ma voiture, aujourd'hui, entre chien et loup. L'autoroute est rectiligne, presque personne, la musique bourdonne, gobe les kilomètres. “Got a sweet black angel “. J’ai  peur aujourd'hui, peur d'être devenu un homme efficace, rationnel, posé, méticuleux. Chacun est à sa place, je le vois bien, il y a une logique dans les choses, si peu de folie. La décrépitude doucement, déjà quelques signes avant-coureurs. Peut-être ai-je déjà atteint le sommet, le début de la pente descendante. Maintenant tout va s'effilocher, doucement s'évanouir. C'est biologique. “Got upon my heart”... Insensible  accélération de la vitesse, du volume sonore. Je suis en pleine possession de  mes moyens.  Qu'est-ce qui m'attend ? Les amis qui s'en vont, les corps qui se fanent,  les souvenirs... Tombée de la nuit. Le vent a poussé les nuages vers le couchant. Crescendo de musique. Des camions, longs stylets gris, s’effilochent sur le ruban de l'horizon. La mer est là, proche, ses effluves, vitres ouvertes... J'accélère toujours, les souvenirs accourent, pluie drue, précipitation.

Ce rêve, une nuit qui n’en finit pas, ne se termine pas par une aurore vague, le grand réveil de la vie, matutinale, fébrile, industrieuse... Plutôt rouler, toujours plus vite, avec la musique, légère ou opaque, peu importe. Jauge près de zéro. Plus envie de m'arrêter. Au loin, comme une station orbitale, une station-service, tous feux allumés dans la nuit vide, ouverte. Est-ce le début ou la fin ?

 

Raymond Alcovère, Extrait de "Fugue baroque", roman, éditions n & b, 1998, , prix de la ville de Balma(début du roman)

Photo de Gildas Pasquet

dimanche, 30 décembre 2007

Sous un micocoulier

1940b5fa4d56472502074e1d181fd7f4.jpgSous un micocoulier, les feuilles vert-pâle se  trémoussent dans un bruit d’orgues puis lampées plus basses, fondantes, andante avec cette rafale ardente, pianissimo vent coulis, trémulement des frondaisons, poussées plus lascives des basses encore par les côtés,  se laisser bercer, musique qui revient et ne s’arrête jamais, roulis de cloches, coulée mauve dans le crépitement du soleil, ondoiement sonore en diagonale se faufilant entre les maisons, lignes croisées qui se  brisent, parterre de roses roses devant moi, comme un feu sous le soleil, balancement léger, vivifiant. Mon âme tire des traits, ondule, corrige, batifole, rectifie encore, laisse çà et là des points de suspension, ailleurs des traînées de lumière, de grands chants de mots.  La maison me paraît vaste, immense, voilà le paysage qui m’attend, à explorer jusqu’à la fin des jours. Fleuve ou ruisseau, la vrai amoureux du voyage voyage pour voyager, explorateur insatiable.

Raymond Alcovère, Extrait de "Fugue baroque", roman, n & b éditions, 1998

Auguste Renoir

dimanche, 16 décembre 2007

Je suis trop heureux

 

c4d4905ee0d41f455336ad6222f4bbc3.jpgJe suis trop heureux pour écrire, trop heureux pour penser. Je regarde le soleil se coucher dans l’eau ou Elle se verser une tasse de café et l’univers est renversé, sens dessus dessous, pulvérisé, atomisé comme mon cerveau qui se répand  dans toutes les directions. Allongés sur un rocher, au fond d’une crique. Juste un clapotis et les coquillages qui, bercés par les vagues émergent ou glissent dans  l’eau profonde, si noire près de la côte. Alors qu’une brume s’échappe à l’horizon, rend l’atmosphère presque fraîche et nous pousse à rentrer. Nous montons, l’escalier se perd en balustrades qui dominent les flots. Arrivés là-haut, on fait l’amour encore. Par la fenêtre ouverte, les senteurs salines sont en nous comme on était dans le bleu de la mer tout à l’heure.  Je suis au-delà de la pensée, dans un moment de sensualité pure, où les émotions pour vivre n’ont besoin d’aucune charpente, d’aucun secours. Il y a un million d’années-lumière entre ce que je vivais avant de la rencontrer  et ces quelques jours où tout m’a été donné, l’Italie, la sensualité et Elle. A moins que ce ne soit  la même chose. J’ignore si cette mystérieuse alchimie pourra se poursuivre mais une chose est sûre et vaut pour tout le reste, elle aura été.

 

Raymond Alcovère, Extrait de "Fugue baroque", roman, n & b éditions, 1998

Peinture de Frédérique Azaïs

vendredi, 30 novembre 2007

L'éloigner de soi

abf9c7f655d50c59521692feb751a297.jpgAprès tout pourquoi pas ! Pourquoi pas le désir ! Ce que j’aime avant tout en Elle. Le velouté de sa peau, une étoffe, une seule sur son corps, le visible et  l’invisible, ce qu’à mesure Elle dévoile, ses tressaillements, la légèreté de son corps, soudain, cet abandon qui n’en est  pas un, cette liberté... Tout ce qui s’envole, ces émotions qui disparaissent  à peine éprouvées. Je donnerai cinq ans de ma vie pour une heure de plaisir avec Elle. Une heure de grâce. Une heure de folie et de mort. C’est dans le sexe qu’on est le plus près de la mort, et c’est pour ça justement qu’on en est le plus loin, qu’on veut absolument la fuir, l’éloigner de soi. 

Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", éditions n & b, prix 98 de la ville de Balma

Photo : Nina Houzel

 

samedi, 24 novembre 2007

Il l'est peut-être...

f7ff86a38c6e7c0c00ca32a383450b96.jpgOn n’est jamais plus heureux qu’à deux. Sans témoin. Tout à donner à l’autre, que  personne  n’en sache rien. Mystère des rencontres, de l’intime. Irréductible au qu’en dira-t-on, au regard extérieur qui objective, juge, transforme, colporte, trahit. Rien que le regard  doucement posé de l’autre. Bien sûr ça ne dure qu’un temps, l’autre n’est jamais complètement à soi. Mais on peut rêver un moment. De même à l’instant où on voit la beauté, penser que l’univers en est tissé. Il l’est peut-être...

Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", édtions n & b, 1998

Photo : Nina Houzel

mardi, 20 novembre 2007

Ces rives de l'Italie

739b449d24b7457ed067f802f9bdd94c.jpgAprès tout, pourquoi se soucier de ce que je ne connais pas ? Jamais je n’avais eu cette perception, que tout est bien, le monde, le désir, le cercle des jours. Se déroule dans une parfaite harmonie. Les délires baroques de Spaccanapoli, eux aussi, sont là de toute éternité. Ils figurent l’autre côté des choses, la folie, la mort, l’amour fou. Des étendards, balises de l’univers onirique qui me hante, s’étalent là devant mes yeux.

Ils sont avec moi, ils sont moi, ces frontons d’église, ces figures alambiquées, torsadées, sculptures aériennes, fluides, qui défient le temps, la logique, la mesure. Cette folie-là, je m’y suis lové, comme on se glisse entre les draps pour y trouver le repos, ne plus agir, ne plus être envahi du désordre et de l’incongruité du monde. Un grand calme enfin.

J’aime ces ruelles sombres où clabaude la vie, ces cours, ces palais de marbre, ces rives de l’Italie...

 

Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", édtions n & b, 1998

Frédérique Azaïs, 20 x 20

du 15 novembre au 20 décembre au

CLUB HOUSE de la JALADE 

4 rue de la Jalade MONTPELLIER

jeudi, 08 novembre 2007

Sous un micocoulier

9dd198387d13cc0e7e65cb487765fd65.jpgSous un micocoulier, les feuilles vert-pâle se  trémoussent dans un bruit d’orgues puis lampées plus basses, fondantes, andante avec cette rafale ardente, pianissimo vent coulis, trémulement des frondaisons, poussées plus lascives des basses encore par les côtés,  se laisser bercer, musique qui revient et ne s’arrête jamais, roulis de cloches, coulée mauve dans le crépitement du soleil, ondoiement sonore en diagonale se faufilant entre les maisons, lignes croisées qui se  brisent, parterre de roses roses devant moi, comme un feu sous le soleil, balancement léger, vivifiant.

Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", n & b éditions, 1998 

Naples, cloître de Santa-Chiara 

dimanche, 28 octobre 2007

Aucune reconnaissance, aucune restitution

bb36c281ba46bf9cf70d0a9d72e2f0dd.jpgJe ne crois pas à une séparation bien nette entre la vie et la mort, entre Lucie et moi, entre ce qui me serait arrivé si Elle n’avait pas été là et... Parfois j’ai cette sensation qu’il n’y a qu’une réalité, la même tout le temps, que rien ne change vraiment. Un flot continu, peut-être sans commencement ni fin et nous sommes ce flot, ni plus ni moins. La joie et la tristesse ne sont que celles des  poètes. Les poètes qui écrivent des livres, mais aussi ceux de tous les jours,  dont les actes sont gratuits, cachés, qui embellissent le monde autour d’eux. Là est le vrai don, la poésie. Peut-être n’y a-t-il rien de vraiment beau qui ne soit complètement gratuit, n’appelle aucune reconnaissance, aucune  restitution.

Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", édtions n & b, 1998

jeudi, 25 octobre 2007

Gesu Nuovo

f89dfbdbfad3fd49136549187e93188d.jpgJe me suis remis à écrire. Longues journées de soleil ininterrompu. L’automne point. Je suis déjà à jeudi, à cette rencontre. Nuits courtes. J’ai parcouru les églises baroques, Gesu Nuovo, San Gregorio Armeno, ébloui de lumière, saoulé de beauté, ors, arpèges, volutes, arabesques. Jusqu’à ne plus rien voir,  ne rien sentir. Je n’ai  même plus la force de marcher, j’erre dans les rues sans savoir où aller, heureux. Rentré dans ma chambre, j’ai dormi à peine allongé sur mon lit. Je devrais être fort, prudent, me comporter en adulte. Mais aimer, n’est-ce pas plutôt sentir, désirer, imaginer, vouloir mourir... Amour  baroque, comme il est vécu ici.  Ou  alors  plénitude,  oubli de soi, paix,  sérénité qui  fait tout oublier, Lucie...

Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", roman, éditions n & b, 1998 

 

vendredi, 12 octobre 2007

Et cette illusion de bonheur finit par devenir bonheur...

5bfd27868fe070be9a8c2900e9de4f34.jpgEnvie de sortir, de marcher, je suis monté à San Martino. Ce genre de décor somptueux, chargé m’aurait déplu il y a quelques années. Dorures, stuc, marbres polychromes, couleurs fondues, motifs enlacés, anges virevoltants, tout est fait pour dérouter l’âme, qu’elle vacille, l’enlever des griffes du réel, la jeter dans un monde de miroirs corruscants, un crépitement de pierreries, de marbres roses. Les plafonds figurent  des ouvertures vers le ciel, vers d’autres images, où rien ne finit jamais. Une illusion de bonheur qui n’a jamais de fin. Toujours plus de couleurs, de rondeurs, de trompe- l’oeil. Et cette illusion de bonheur finit par devenir bonheur...

Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", n & b éditions, 1998

Napoli, San Gregorio Armeno

samedi, 31 mars 2007

Vivre chaque jour comme si c’était le dernier...

medium_61040878_b65b5d742e_m.jpgL’aliscafo bondit sur les flots, vie lumineuse des vagues, envol aérien du bateau cisaillant les reflets de la lune, espadon endiablé, dévorant l’écume. Fraîcheur qui vient du large, nuit peuplée, balises allumées, sémaphores. Au loin la baie ouvre son éventail de feu dominé par le Vésuve et sa corolle de nuages, ange tutélaire. Vivre chaque jour comme si c’était le dernier...

Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", éditions n & b, 1998

mercredi, 28 mars 2007

L’instant où tout se concentre

Pulvérisation, éclatement d’images, de mots. Un dragon menaçant  scintille dans les eaux basses du port. La Mergellina encore. Naples se donne ici des airs  d’ île grecque  placide, recroquevillée au milieu de la grande mer. Procida...  Envie de courir, jouer, lever les yeux, les bras au ciel. Je suis incapable de rentrer ce soir, j’ai plutôt envie de traverser la ville, comme Dumas dans son corricolo, virevoltant. Loué une calèche Riviera di Chiaia, et vogue la galère ! J’ai donné au guide tout ce que j’avais, joué les touristes naïfs, je me moque du monde entier, voudrais embrasser l’air que je respire, la mer qui  frémit à côté de moi,  les gens que je croise.  Voilà le Palais Royal, insolent, lugubre, le San Carlo, brillantissime, l’ombre de Stendhal bien sûr, Via Toledo, un concert de lumières, de cris,  chatoiement de feu, enfin la montée vers San Martino.

Là, mon cicérone m’abandonne. J’ai envie de rire, lui dit qu’il peut bien partir. Il trouvera d’autres touristes à ramener  ou  peut-être vit-il là, ou  n’est-il qu’un gnome, ou le diable,  peu importe !

Enfin seul, je laisse mes yeux respirer, se brûler aux  lumières de la ville, du port, des îles. J’aimerais que tout s’arrête, mon bonheur est parfait, c’est l’instant  où  tout se concentre, juste avant le Big Bang.  La  mer frissonne, donne des baisers au vent, au ciel, une langue de feu lèche l’horizon.

Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", éditions n & b, 1998

 

mardi, 27 mars 2007

Riviera di Chiaia

medium_82_new.jpgLe soleil est brûlant à l’extérieur, avec le bruit vermeil de l’été, les ombres longues qui descendent sur la ville, et ce moutonnement de bruit. Je marche seul,  parmi les ombres. Elle est là, souvent, qui me parle dans le dos, guide ma marche. Son souffle léger, comme un murmure de vent, dans un roulis d’étoiles, et ce parfum entêtant. Je sens la douceur de ses mains, suis enveloppé par son être chaud, suivi par son ombre, arpentant les rues. Riviera di Chiaia. De là j’aime à monter sur les hauteurs, passer de la lueur extrême aux plaines de l’ombre. Dans les bassi où le soleil n’arrive jamais. La ville la plus lumineuse d’Europe, la plus brûlante a le goût des cryptes, des catacombes, ce besoin d’un retour quotidien vers les entrailles de la terre, les origines.

Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", éditions n & b, 1998

Photo : Jean-Louis Bec

lundi, 12 mars 2007

Et cette illusion de bonheur

medium_Email0344.4.jpgEnvie de sortir, de marcher, je suis monté à San Martino. Ce genre de décor somptueux, chargé m’aurait déplu il y a quelques années. Dorures, stuc, marbres polychromes, couleurs fondues, motifs enlacés, anges virevoltants, tout est fait pour dérouter l’âme, qu’elle vacille, l’enlever des griffes du réel, la jeter dans un monde de miroirs corruscants, un crépitement de pierreries, de marbres roses. Les plafonds figurent  des ouvertures vers le ciel, vers d’autres images, où rien ne finit jamais. Une illusion de bonheur qui n’a jamais de fin. Toujours plus de couleurs, de rondeurs, de trompe-l’oeil. Et cette illusion de bonheur finit par devenir bonheur...

Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", n & b, 1998

Tableau de Frédérique Azaïs

dimanche, 11 mars 2007

O’ sangue, O’ sangue

Marchant à nouveau dans les ruelles basses de la ville, bordées de pièces sans lumières où vivent des familles entières, je pense à l’extraordinaire dernier chapitre de “Kaputt” de Malaparte. C’est en 1943, après des années de guerre, de famine et de souffrance. Naples a été bombardée, les allemands sont partis,  elle est exsangue, paie cher d’être  la première ville libérée d’Europe. Partout ce ne sont que décombres, ruines, désolation.  Dans la ville, il ne reste que les malheureux, ce peuple de l’ombre qui a vécu des années durant dans le labyrinthe immense des grottes,  les entrailles de la ville, creusées à même le tuf. Les puissants ont fui comme toujours. Il n’y  a plus d’eau, plus de vivres, plus rien. Cette foule émerge à la surface, tant bien que mal, souffrante, loqueteuse, une cour des miracles en marche. Soudain une rumeur surgit et gronde comme une houle. Le sang de Saint-Janvier, qui protège la ville, les deux châsses qui le contiennent, ont été détruites avec la crypte de la cathédrale où elles étaient entreposées, atteintes par une bombe. A cette nouvelle, le peuple déguenillé, assoiffé, amaigri, reflue comme une vague vers la cathédrale,  psalmodiant ces  mots “O’ sangue, O’ sangue”. Pour ces gens qui ont tout subi, tout enduré, la mort, la souffrance, la faim, la torture,  la disparition de ce sang sacré est pire que tout. Et miracle, devant la cathédrale, un prêtre vient annoncer que les quelques gouttes coagulées ont survécu au bombardement. Ce sont des larmes de joie qui coulent maintenant sur les visages de ces êtres nus,  l’espoir qui efface tout.

Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", n & b, 1998